A partir de travaux
d’installations, de vidéos, de photographies au caractère quasi pictural, comme
la série de portraits qu’elle présente aujourd’hui, elle opère une
déconstruction des images et des codes, notamment par le détournement et la
réappropriation. Dans une posture de mise à distance et parfois de dérision, le
travail de Luna s’inscrit de manière très contemporaine dans une réflexion
critique sur les conventions, les représentations, les postures sociales, les
modes d’identifications postulés ou avérés, les mythes collectifs et les
aliénations.
Si certaines de ses œuvres
peuvent se rapprocher d’un geste actionniste – comme lorsqu’en 2005, elle
montre un sexe féminin tatoué d’un code barre sur fond rose bonbon - son
travail peut aussi incliner parfois vers une forme de situationnisme, dans
cette manière de favoriser l’irruption poétique dans les situations ou les
activités les plus banales : dans la série « Gate 21 », elle se
représentait, quelque part dans l’espace neutre et banal d’un aéroport, dans
des situations d’attente indéterminée. Attitude subtilement engagée en ce sens,
dans sa manière de s’emparer, de transformer, de triturer certaines images pour
en perturber radicalement la compréhension.
Luna présente une
série des portraits de personnalités du monde de l’art, du spectacle, de la
politique, en grands formats.
Pour Luna, le traitement formel
de l’image revêt une importance particulière, qu’elle considère comme
indissociable de son approche signifiante.
Ce travail de l’image numérique
impose une transversalité entre art, sciences, et mathématique, ressuscitant
d’une certaine manière, et cela n’est pas neutre dans sa démarche, l’esprit
humaniste et renaissant.
Au travers de l’utilisation des
nouvelles technologies, et en particulier les possibilités de l’image numérique
– qui interrogent les notions de statut d’auteur et d’image, mais aussi les
genres artistiques- elle réinjecte une dimension créative à l’image, dans un
travail de réappropriation picturale, de traitement ou de remodélisation de
l’image. Les visages des portraiturés subissent une sorte de défiguration
numérique : sous le cadrage serré, marques et traits sont lissés, floutés,
les formes semblent se déliter, les couleurs, artificielles et comme diluées,
se détachant sur le fond monochrome couleur vive, l’accroche au réel se
réduisant au regard, distinguant in fine l’homme réel de l’icône.
En se réappropriant des images
photographiques issues de l’Internet, souvent exploitées à des buts commerciaux
ou idéologiques, Luna produit des images-peintures qui, évidemment, ne sont pas
sans évoquer Warhol et le Pop. Pourtant, il serait bien réducteur de
circonscrire le travail de Luna à un énième avatar de cette culture Pop qui
n’en finit pas d’être la notre, dans cette déliquescence du Pop au profit d’un
néo-Pop entièrement voué à la trivialité des mass media, à la reproduction en
masse des procédés, à ces produits dérivés devenus « brutalement
impersonnels » comme le prédisait Warhol, singeant la
reproduction-dispersion massive de l’esthétique warholienne jusqu’à saturation,
dissolution dans la béance de sens.
Pulvérisé, le fameux quart d’heure
de célébrité warholien. Le monde contemporain n’a jamais été aussi fasciné et
avide, jusqu’au vertige et à l’écœurement, de starisation, de glamour
préfabriqué, de « peoplisation ». La société de divertissement est à
son climax, produisant un brouillage des genres, des hommes politiques traités
comme des people, des acteurs musculeux devenus sénateurs, des artistes
à la tête de multinationales…
Alors, Damien Hirst ou François
Pinault, Jeff Koons ou Frédéric Mitterrand, Vladimir Poutine ou Karl Lagerfeld,
BHL ou Jean-Jacques Aillagon, qui sont-ils et pourquoi eux ? Sont-ils
quelques unes des véritables icônes pop d’aujourd’hui ? Un administrateur
de Monument Historique, un philosophe médiatique et millionnaire sont-ils plus
glamour que ne le furent Elisabeth Taylor, Marilyn, Mick Jagger ou Michael
Jackson à l’époque de La Factory, du Studio 54 et d’Interview ? Ce que
veut pointer Luna ici, c’est que sans doute, l’entertainement n’est
jamais qu’une partie du spectacle, ce spectacle dont la «
religion » est, on le sait depuis Guy Debord, « la
marchandise ».
Si l’ensemble des portraits de
Luna devaient, comme le disait Warhol de ses œuvres, former « un portrait
de la société », que verrions-nous ? Les nouvelles icônes d’un monde
marchandisé, l’évidente collusion de l’art et de l’économie, de l’économie et
du politique, de l’art et du politique…
Les hommes publics choisis par
Luna n’incarnent pas à proprement parler le glamour, la manière dont elle les
portraiture n’est pas si flatteuse, bien que non plus caricaturale. Et le
traitement de leur image à la sauce pop est moins un choix esthétique que de
l’ironie, avec leur joli fond acidulé...
Il semblerait alors plus
justement que Luna prend ce mouvement à rebours, jusqu’à revenir aux sources de
son cynisme, comme un sorte d’anté-pop salvateur et lucide.
Marie Deparis-Yafil
Paris- Juin 2010